Notre société contemporaine tend à valoriser la rationalité, la réflexion et l'analyse mettant à distance les émotions considérées comme appartenant au monde de l'enfance et donc peu acceptables chez les adultes. L'émotion est pourtant au coeur de notre personnalité et de notre santé à la fois physique et mentale.
C'est quoi une émotion?
Étymologiquement le mot émotion traduit un "mouvement vers l'extérieur" ("E" vient de "ex" en latin qui signifie "à l'extérieur" et "motion" signifie "mouvement"). L'émotion naît donc à l'intérieur de soi et est sensée s'extérioriser afin de provoquer une réaction chez l'autre: Le but premier d'une émotion est d'exprimer un besoin à l'entourage.
On décrit classiquement 4 grandes émotions: la peur, la colère, la tristesse et la joie:
- La peur: elle se déclenche face à un danger imminent et traduit un besoin de protection, de mise en sécurité. La peur est très liée au réflexe de survie géré par le cerveau archaïque: pour protéger son intégrité il faut fuir ou combattre le danger. Le corps réagit dans ce but: le pouls s'accélère et le flux sanguin est augmenté au niveau du coeur et des jambes au détriment de la peau et du système digestif. , la température de la peau diminue et le visage pâlit. De nombreuses expressions traduisent l'émotion de peur: "avoir le sang qui se glace", "prendre ses jambes à son cou", "avoir froid dans le dos", "trembler comme une feuille".
- La colère traduit un besoin de changement, de réparation face à une agression, une injustice, une atteinte de son territoire ou de ses valeurs. L'émotion de colère peut aller jusqu'au besoin de destruction lorsque la situation est vécue comme insupportable. Le corps se prépare à cette attaque par un afflux de sang très important au niveau du haut du corps: Le visage rougit,les poings se ferment. On peut "être rouge de colère", "bouillir d'impatience" ou "être un sanguin" si on s'énerve facilement.
- La tristesse traduit un besoin de réconfort et de protection. Elle est liée au sentiment de perte au sens large: perte d'un être cher, fin d'une relation, d'un emploi, fin d'une attente jamais comblée,etc. La tristesse met en évidence le manque de ce dont nous sommes privés; C'est l'émotion qui permet de passer d'un attachement à un autre, de prendre en compte la réalité de la séparation pour passer à une nouvelle vie. Au niveau corporel il y a surtout une baisse du tonus musculaire (le corps lâche prise, abandonne son attachement), un serrement au niveau de la gorge et des larmes.
- La joie signifie un besoin de partage, de communion. Elle permet de se sentir relié aux autres lors de la célébration d'une réussite ou de retrouvailles par exemple; elle permet aussi de se sentir relié à la nature (contemplation d'un beau paysage) ou au divin.
Ces 4 émotions sont les émotions dites primaires; certains ajoutent également le dégoût à cette liste. Ces émotions de base permettent de créer une très grande variété de sentiments: Par exemple, la mélancolie est un mélange de tristesse et de joie, la frustration de la colère mêlée à la joie, etc.
La naissance du traumatisme émotionnel
L'émotion si elle est vécue librement passe par 3 phases:
- la phase de charge: le cerveau limbique (en particulier l'amygdale) perçoit et interprète un événement déstabilisant avec une émotion particulière et une libération hormonale. Le stimulus déclencheur peut être anodin comme par exemple l'annonce d'un rendez-vous annulé comme il peut être plus grave comme un accident de la route.
- la phase de tension: c'est le moment où le corps se prépare à réagir avec des signes physiques spécifiques à l'émotion (afflux sanguin dans les poings en cas de colère par exemple).
- la phase de décharge: c'est l'expression de l'émotion qui est alors visible de l'extérieur: le rire pour la joie, les pleurs pour la tristesse, les tremblements pour la peur si elle est intense,etc. La décharge émotionnelle est une phase très importante tant sur le plan psychologique (la personne se sent ensuite apaisée) que sur le plan corporel: elle permet au corps de retrouver son équilibre physiologique (pression artérielle, taux hormonaux, température,etc).
En temps normal l'émotion croît et décroît très rapidement comme une vague. Il y a une fluidité dans le vécu de l'émotion qui ne dure alors que quelques minutes. C'est visible chez les enfants qui peuvent aller loin dans l'intensité émotionnelle si on les laisse faire...Ils passent très vite à autre chose au grand étonnement des adultes! C'est justement parce qu’ils se sont autorisés à vivre pleinement leur émotion qu'ils s'en libèrent spontanément.
Le traumatisme naît lorsque l'émotion n'a pas pu suivre toutes ces étapes. Il y a plusieurs raisons possibles à ce blocage de la vague émotionnelle:
Une émotion trop intense
L'émotion est tellement intense que le cerveau "disjoncte": l'émotion perçue par l'amygdale (cerveau limbique) est habituellement modulée par le cortex, ce qui permet d'apaiser le corps et le psychisme. Lors d'un événement grave (risque de mort, abus sexuel) le cerveau est submergé et se déconnecte volontairement de l'émotion qui n'est alors plus modulée par le cortex. Cette réaction de protection est nécessaire dans un premier temps (Une émotion trop intense peut créer un infarctus) mais est délétère ensuite: la personne vit dans un un état d'hypervigilance permanent alors que le danger est écarté: c'est l'état de stress post-traumatique.
Une émotion mal accueillie par l'entourage
Comme vu en début d'article, l'objectif premier d'une émotion est d'exprimer un besoin à son entourage. Si ce dernier n'accueille pas l'émotion comme il se doit, l'émotion non seulement ne va pas au bout de son processus mais, en plus une autre émotion risque de s'ajouter: celle liée au rejet. Par exemple: un enfant pleure car il vient de perdre son chien; sa mère lui dit que c'est ridicule de pleurer "Ce n'est qu'un chien": A la tristesse de la perte d'un être cher s'ajoute la tristesse de se sentir rejeté dans l'expression de ses émotions. Et si le mauvais accueil des émotions se répète (via l'environnement familial par exemple) la personne va alors avoir tendance à se couper spontanément et durablement de ses émotions.
Un conditionnement sociétal
La société ne favorise pas l'expression des émotions, en particulier chez les adultes qui ont bien souvent intégré que les émotions (surtout fortes) sont réservées aux enfants. Il y a aussi des émotions plus ou moins étouffées selon son genre: La tristesse est parfois vue comme une faiblesse chez les hommes tandis qu'une femme qui se met en colère peut être qualifiée d'hystérique.
Même si certaines émotions sont moins agréables que d'autres, elles ont toutes une utilité et aucune ne doit être "refoulée" ou mise de côté: Dans l'idéal une émotion est vécue pleinement jusqu'à sa phase de décharge. La réalité est pourtant souvent différente: Nous avons tous de nombreuses émotions restées bloquées à la phase de tension, que l'on ait vécu des événements graves ou non. C'est ce blocage qui crée le traumatisme, la souffrance psychique; Ces émotions bloquées font également le lit de troubles physiques divers avec un phénomène de somatisation.